Société
Décryptage : Mon petit renne (Netflix), une fiction bien trop réelle
Depuis le 11 avril, date de sa sortie sur Netflix, la série britannique Mon petit renne (Baby Reindeer en anglais) agite les foules. Décryptage d’un phénomène qui dépasse largement le cadre du divertissement.
Une intrigue relativement sombre
Sept épisodes d’une trentaine de minutes ont suffi à affoler les spectateurs du monde entier. Le 11 avril dernier, Netflix a révélé sur sa plateforme une mini-série interdite au jeune public. Celle-ci raconte l’histoire de Donny Dun (Richard Gadd), un comédien raté à soif de succès, obligé de travailler dans un bar pour financer ses one-man shows.
Un après-midi, une femme, Martha (Jessica Gunning), entre dans ledit pub et commande une tasse de thé que Donny lui offre. Rapidement, cette femme au fort accent écossais développe une fascination pour le comédien qu’elle harcèle à coup de centaines d’e-mails, tweets, messages Facebook, puis appels, lettres et messages vocaux. Cela ne s’arrête pas là.
Car si Martha semble, dans la série, souffrir de problèmes psychologiques, Donny, lui, apparaît comme un personnage complexe, notamment traumatisé par le viol répété d’un célèbre scénariste britannique. La série s’apparente donc davantage à un thriller qu’à un conte comme le suggérait pourtant son titre enfantin.
Voir aussi : Entretien avec Walter Astral : Les druides rencontrent la techno le 24 mai à l’Iboat
Un succès à demi-mesure
Très vite après sa sortie, Mon petit renne connaît un succès mondial : la série est vue par des millions de spectateurs, encensée par la presse et même approuvée par Stephen King, c’est dire ! Cependant, son triomphe ne s’explique pas seulement par sa qualité cinématographique. En effet, en dessous du titre de l’affiche, on peut lire “une histoire vraie captivante”. Et ces quelques mots changent tout.
Car en réalité, Baby Reindeer s’inspire de la vie de Richard Gadd, le créateur de la série, qui y interprète son propre rôle. Pour lui, ce projet est une catharsis qui lui permet de se libérer des terribles évènements survenus dans son passé. Dès lors, la série frôle avec les limites de la réalité, et cela n’est pas sans conséquences. En effet, après avoir visionné Mon petit renne, de nombreux spectateurs se sont mis en quête de retrouver les protagonistes réels en épluchant les réseaux sociaux.
Bien que Richard Gadd ait affirmé avoir modifié certains éléments pour conserver l’anonymat de ses personnages, une femme a rapidement été identifiée comme étant la “vraie Martha”. Celle-ci a pris la parole lors d’un entretien avec le présentateur controversé Piers Morgan, affirmant être victime de diffamation. La présumée stalkeuse a ajouté recevoir des menaces de mort de la part de certains internautes. L’intervention de Richard Gadd sur les réseaux sociaux appelant à l’apaisement n’a rien arrêté.
Une attirance pour les histoires sordides
L’ensemble de ce phénomène démontre encore une fois la fascination du public pour les faits divers sinistres et les histoires malsaines. Un intérêt qui ne date pas d’hier selon Lucie Jouvet-Legrand, maîtresse de conférences en socio-anthropologie. Car les faits divers provoquent un certain effet libérateur qui permet de “vivre des émotions fortes par procuration, ce qui apporte un soulagement à voir des atrocités hors de chez soi” selon la psychothérapeute Ana Evangelista.
Aujourd’hui, dans le cas de Baby Reindeer, le phénomène est poussé à son paroxysme puisque de réels individus en subissent les conséquences dans leur quotidien. Mais Netflix le diffuseur de la série britannique ne semble pas s’en être préoccupé auparavant. Car l’argument de “l’histoire vraie” a pour avantage qu’il attire le spectateur pour toutes les raisons expliquées ci-dessus.
Une histoire (vraie) de stalking, qui va (beaucoup) trop loin.
— Netflix France (@NetflixFR) April 11, 2024
La mini-série MON PETIT RENNE, par les créateurs de The End of the F***ing World, c’est dispo. pic.twitter.com/xRzGA0dr4c
À ce sujet, la plateforme américaine n’en est pas à son coup d’essai. En 2022, celle-ci diffusait la série Dahmer relatant les crimes du tueur en série Jeffrey Dahmer. Visionnée par des millions de téléspectateurs, celle-ci s’était transformée en une véritable tornade médiatique.
Enfin, une dernière question autour de Mon petit renne se pose : celle de l’aspect esthétique. Car comme l’affirme le chroniqueur Stuart Heritage dans The Guardian, “on ne peut se contenter d’aborder la série sur le plan purement artistique, quand on sait que le comédien y décrit ses propres traumatismes”.
Y a-t-il des responsables ?
Alors, comment critiquer une œuvre dont le scénario est inspiré d’une affaire criminelle ? Les spectateurs avides de faits divers sombres sont-ils à blâmer ? Serait-ce plutôt la faute des plateformes qui, au détriment des polémiques, utilisent des techniques promotionnelles douteuses ? Ou bien des réalisateurs et leurs équipes trop naïfs pour ne pas anticiper les réactions du public ? Les réponses sont évidemment complexes et multiples. Car loin de désigner des coupables, ce genre de phénomène doit avant tout faire réfléchir.
Voir aussi : Esken, Astral Bakers, The Lemon Twigs : 15 projets à découvrir absolument