Portraits
Rencontre avec Samuel Suchod pour son premier film « Giallo, Arancia, con grana »
Samuel Suchod, jeune réalisateur de 23 ans, vient étoffer la catégorie déjà bien remplie des “bordelais ont du talent”. La vingtaine peu entamée, le cinéaste compte déjà à son actif un court-métrage et un premier film, celui-ci entièrement tourné en Italien. Prometteur, surtout lorsque l’on sait que le monde du cinéma, provincial qui plus est, est une voie plus que difficile d’accès. Entre anecdotes de tournage et conseils pour ses pairs réalisateurs, Epic Mag a rencontré Samuel.
Peux-tu te présenter toi et ton parcours ?
Samuel : Je m’appelle Samuel Suchod, j’ai 23 ans, j’ai grandi près de Langon en Gironde. J’ai débuté le cinéma au lycée à travers une option en auditeur libre. En 2019, après le bac, j’ai été pris à la fac de cinéma de Paris VIII. Au début j’étais un peu perdu, comme un campagnard qui découvre la capitale (rires). J’y suis resté jusqu’en 2020, jusqu’au covid qui a tout chamboulé. J’allais réaliser un court-métrage à l’époque, mais au vu du contexte, cela s’est avéré impossible. Alors je suis retourné à Bordeaux et j’ai recommencé une première année de cinéma là-bas.
Je me suis rapidement rendu compte que cela ne me correspondait pas, alors je suis remonté à Paris, tout en continuant les cours en distanciel depuis Bordeaux. Tout ça pour, l’année d’après, en 2021, réintégrer la fac parisienne. J’en ai également profité pour me diversifier en faisant notamment de l’acting au conservatoire du Xe arrondissement.
J’y ai fait beaucoup de rencontres très enrichissantes. En même temps, j’ai réalisé un court-métrage, Resto en Italie. Il raconte l’histoire d’un jeune homme qui tombe amoureux d’une fille pendant ses vacances à Bologne, et qui finalement, le dernier jour, décide de rester pour elle. Fruit du hasard, l’année d’après, en 2022, je suis parti en Erasmus dans cette même ville. C’est là que j’ai écrit mon film Giallo, Arancia, con grana. Aujourd’hui, je suis de retour à Paris en troisième année, toujours de cinéma.
Après avoir jonglé entre Bordeaux et Paris pendant plusieurs années, quelle est pour toi, la différence entre ces deux villes sur le plan du cinéma ?
Samuel : À Paris il y a toutes les agences, les boîtes de production, les événements, les cocktails, les avant-premières, etc. À Bordeaux il y a également des tournages mais plutôt de téléfilms ou de séries françaises.
Peux-tu nous pitcher Giallo, Arancia, con grana, ton premier long-métrage ?
Samuel : Le film se passe à Bologne, en Italie. Il raconte l’histoire de Gloria, une jeune fille de 20 ans et de son petit frère de 8 ans, Cosimo. Depuis qu’elle est petite, Gloria veut retrouver son père plus que tout, Cosimo lui, toujours accompagné de sa petite caméra, veut partir en vacances pour la première fois de sa vie.
Quand t’es venu l’idée ?
Samuel : En mai 2022. À ce moment-là, je voulais filmer des grands espaces et des aventures avec du rythme et du peps en opposition avec mon précédent court-métrage tourné en huis clos.
Mais, pour une raison qui m’est inconnue, je ne voulais pas que mon premier film soit en français. Assez naturellement, l’italien s’est présenté comme une très bonne option. À l’époque, je ne parlais pas un mot de la langue.
Comment s’est passée la création du projet ?
Samuel : Mon beau-père est italien, il vient des Pouilles. C’est lui, d’ailleurs, qui m’a conseillé de faire mon Erasmus à Bologne… Quand je suis parti en Italie en 2022, j’écrivais encore les dialogues. Ce n’est qu’à partir de janvier 2023 que j’ai commencé à chercher des producteurs et une équipe.
Jusqu’en juin 2023 j’étais vraiment tout seul, j’avançais à taton avant qu’un chef opérateur ne me repère sur Tik-Tok. Et il s’avère qu’un de ses amis était producteur, il m’a suivi dans mon projet.
Excepté la part du producteur, la majorité du film est financée avec mes économies, le fond de solidarité de la fac Paris 8, le Crous et un crowdfunding. En tout, il aura mobilisé vingt-cinq personnes en comptant la post-production, avec dix-sept jours complets de tournage.
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Qu’en est-il des acteurs principaux ?
Samuel : Certains sont de la famille de mon beau-père ! Car évidemment, en arrivant je ne connaissais aucun acteur italien. J’ai commencé par mettre des annonces à Bologne, à demander à mes amis…
Malheureusement ça ne marchait pas du tout. Un jour, le neveu de mon beau-père m’a présenté une amie, l’actrice qui interprète Gloria. Elle voulait absolument jouer dans le film, c’était selon elle “le rôle de sa vie”.
Comment diriger des acteurs en italien ?
Samuel : C’était dur, quel bazar ! (rires). Et pourtant, au moment du tournage, je me débrouillais bien en Italien. Toute l’équipe du film était française mais la chef maquilleuse et la chef déco parlaient italien et mon assistante réal était en Erasmus avec moi.
Pour l’anecdote, je me suis fait une frayeur avec Lorenzo, le petit garçon qui joue Cosimo. Une semaine avant le tournage, j’ai rassemblé tout le monde à Bologne pour que chacun apprenne à se connaître. J’ai demandé à Lorenzo de jouer une scène, et il s’est mis à pleurer, impossible de faire quoi que ce soit. Toute la semaine, j’ai vraiment cru que le film était fichu.
Mais miraculeusement, le premier jour du tournage, il s’est révélé être très à l’aise avec l’équipe technique avec qui il échange encore aujourd’hui (ils jouent à Brol Star ensemble).
Que représente ce film pour toi ?
Samuel : Il me donne envie d’aller encore plus loin. Il me rend fier car il n’a pas du tout été mis en valeur par les gens du milieu mais a été réalisé à 100% grâce aux réseaux sociaux. C’est comme cela que j’ai trouvé certains membres de mes équipes, mon producteur, etc.
C’est une pratique qui se démocratise beaucoup et qui marche de mieux en mieux aujourd’hui. Je suis très fier aussi car j’ai reçu beaucoup de messages de jeunes comme moi à qui visiblement je donne envie de faire des films !
Quelles sont tes inspirations ?
Samuel : Mon modèle absolu c’est Spielberg parce qu’il mêle parfaitement l’artistique et l’entertainment. Pour mon film en particulier, je me suis inspiré de plusieurs cinéastes comme Théo Angelopoulos, l’auteur de Paysage dans le brouillard, Terrence Malik pour l’atmosphère qu’il réussit à créer dans ses œuvres, Ingmar Bergman avec Les Fraises sauvages, un film sur la nostalgie qui m’a beaucoup bouleversé, Il Postino de Michael Radford pour l’ambiance italienne, Xavier Dolan qui illustre à merveille le rapport à la famille, etc. Et Cinema Paradiso aussi évidemment. Ce qui est marrant c’est que je n’ai vu le film que 6 mois avant le tournage.
3 mots qui décrivent « Giallo, Arancia, con grana » ?
Liberté, enfance et nostalgie.
As-tu réussi à promouvoir ton film ?
Samuel : Juste après le tournage, quand le film était en post-production, je suis parti au Festival International du film de Berlin. C’était la première fois que je m’y rendais, j’étais un peu naïf (rires). Je me suis demandé comment je pouvais me faire remarquer. Alors j’ai eu l’idée de fabriquer une grande pancarte avec un QR Code qui mène au film, le titre et l’affiche.
Je suis arrivé devant le marché du film de Berlin, dans lequel je ne pouvais pas accéder car l’entrée coûtait 130 euros rien que pour une journée. Je suis resté dehors avec ma pancarte de 10h à 20h. Au bout du deuxième jour, le directeur du marché du film est venu me voir et m’a laissé entrer gratuitement. J’ai fait le tour des boîtes de distribution, j’ai pris des cartes de visite… J’étais très heureux.
J’ai repris le même principe à Cannes cette année. C’était encore plus fou, parce qu’à peine 20 minutes après avoir posé ma pancarte, France 3 est venu m’interviewer. Beaucoup de médias ont suivi, nationaux et internationaux. J’ai été invité à des soirées, j’ai rencontré des gens, j’en ai recroisé. Toujours avec ma pancarte.
Et la suite ?
Samuel : J’écris actuellement un second long-métrage. Ce sera un thriller dans le Sud-Ouest de la France en hiver… Changement d’ambiance ! (rires) J’ai déjà deux des acteurs principaux et l’équipe technique. J’espère moins compter sur les réseaux sociaux cette fois-ci, afin que le processus soit plus fluide.
Réaliser un film de 1h20, en indépendant lorsque l’on vient de Bordeaux, cela sonne comme le parcours du combattant…
Samuel : Je pourrais même ajouter “en tant qu’amateur”. Car les aides du CNC sont très difficiles à avoir pour un premier film, il faut d’abord avoir réalisé des œuvres télévisuelles pour tenter d’en bénéficier.
Alors pour réaliser un premier film quand t’as rien fait avant, que tu connais personne et que tu viens d’une petite ville, je ne dirais pas que c’est de l’ordre de l’impossible mais pas loin. Moi j’ai réussi à faire le long-métrage quasiment uniquement grâce à mes économies, c’est déjà une chance. Mais ce n’est pas encore gagné.
Si tu te prends pour un étudiant tu resteras un étudiant. Mais si tu fais des films, alors prends toi pour quelqu’un qui fait des films.
Quels conseils pourrais-tu donner à des jeunes réalisateurs ?
Samuel : Si tu es passionné par le cinéma, Tarantino l’a dit, tu arriveras forcément à faire un bon film, tu l’as dans les tripes. En réalisant Giallo, Arancia, con grana, j’ai tout appris sur le tas au fur et à mesure que le projet avançait. Donc, il ne faut rien lâcher que ce soit à Bordeaux, à Paris ou ailleurs.
Il faut s’armer de patience, essayer de s’entourer le mieux possible, et s’écouter. Et surtout, il faut se prendre pour ce que l’on est réellement. Si tu te prends pour un étudiant tu resteras un étudiant. Mais si tu fais des films, alors prends toi pour quelqu’un qui fait des films.
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